Consideration

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Considération générale sur les Fleurs
par Hervé Georges Ic, octobre 2022

Cette collection fut commencée en 1996, lorsque je rentrais de New York ou j’avais vu pour la première fois les toiles « all over » de Jackson Pollock, de Philip Taaffe, Ross Bleckner, de Clyfford Still, de Barnett Newman … et bien d’autre. La facilité avec laquelle la peinture américaine assume la surface m’a toujours beaucoup impressionné car elle marque une différence nette avec la peinture européenne. Ce qui reste de la culture européenne, c’est ce besoin de profondeur, d’explication universelle et philosophique à toute chose. C’est ridicule et c’est beau en même temps. Si l’Europe a été vaincu par le consumérisme américain (il faut penser l’économie de marché comme une machine de guerre pour comprendre le monde d’aujourd’hui), alors ces tentatives souvent forcées de donner un sens profond aux œuvres d’art doivent être comprises comme une ultime forme de résistance. En cela j’aime beaucoup cet entêtement européen, et je m’y reconnais.

À l’époque, en 1996, le formalisme et l’abstraction géométrique dominait chez les critiques d’art et les suiveurs expressionnistes occupaient le marché français. Tous cela me semblait une façon hypocrite de mimer américains et allemands tels Schnabel et Baselitz. Je voulais partir sur des nouvelles bases. Si quelque chose méritait d’être conservé dans cette fin de XXe siècle fatiguée, c’était le principe de poser des nouvelles bases à toutes choses. Ma nouvelle base serait donc, la lenteur, le lisse et la profondeur par la transparence.
Cette année là j’ai rencontré la future mère de mon fils à New York. Elle travaillait au Guggenheim Museum Soho. Elle est japonaise et m’avait offert ses photos de « Kasuga-yama », la forêt primitive de Nara, d’où est originaire sa famille. À mon retour j’ai commencé à travailler sur papier des grandes compositions combinatoires de branches en fleurs et de perruches qui sont devenu un motif décoratif proche de la tapisserie. Et j’ai vraiment travaillé dans ce sens et cela ne m’a pas du tout porté chance parce que mes tentatives ont été beaucoup moquées et beaucoup copiées par la suite.
Je dis souvent « collections » car il ne peut pas s’agir de « séries ». Ce n’est pas une production industrielle, ce ne sont même pas des « compositions sérielles» au sens d’arrangement graphique. Ce sont éventuellement des « organisations » au sens « organique » du vivant. Des formes végétales qui se mêlent de façon improvisées, ni chaotiques, ni intelligibles.
La transparence et la légèreté du traitement permettent d’ajouter sans saturer.

Les lignes lumineuses qui apparaissent parfois dans le fond sont issues des toiles de danse. À l’origine c’était des cordes de ring. Elles marquent l’opposition entre le rationnel et le végétal. La nature ne « pense » pas comme l’homme, elle ne se range pas, ne se compose pas, ne s’économise pas, ne se calcule pas et prend avantage de tout. Je trouve très reposant d’observer la nature pour ce qu’elle nous apporte d’étranger à nous-même. Le monde humain est inachevé, débile et saturé, trop plein de lui-même. Trop plein de réflexions stratégiques, de systèmes, de mécanismes, d’anticipations calculées qui font de l’espace mentale humain un ring, une compétition permanente jusque dans son repos.
L’esprit humain est appauvri par ses richesses.

Ces fleurs sont réelles, à différentes échelles. Je les trouve dans la rue, dans les jardins, à la campagne. Elles poussent là où c’est possible, dans la pisse de chien parfois. Ce sont des fleurs modestes de la rue. Jamais des fleurs commerciales, c’est pourquoi il n’y a pas de tiges verticales. Je cherche surtout les tiges qui viennent d’en haut, de côté ou longant le sol. Cela augmente la sensation d’être dedans, dessous, au milieu du végétal et de ne pas le saisir. J’aime qu’on ne puisse pas mémoriser ces peintures. On peut les parcourir du regard, suivre leur entrelacs et les photographier. Mais on ne peut pas les recopier car elles n’ont pas de sens logique.