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IC, Maintenant
par Philippe Dagen, été 2000

Ic. Il s’appelle Ic. Forcement, on entend hic – hic : ici, ici même, maintenant, à l’instant, sans tarder, sans aucun délai, tout de suite, devant nous. Du reste, Ic se prénomme Hervé. H.Ic. Hic décidément.
Il a un chat roux et blanc, tendre et bavard. Il lui plaît de travailler la nuit jusqu’au petit jour. Il cite volontiers dans sa conversation Baselitz, Hockney, Gilbert and Georges. Il réfléchit actuellement aux moyens de composer des œuvres selon une vaste combinatoire d’éléments qui pourraient être changés ou déplacés. Il n’aime guère perdre son temps. Donc il va vite. Il peint. Il sculpte. Il peint. Et ainsi de suite. De temps en temps, il voyage et, de ses voyages, envoie à ses amis des photos de tombes pittoresques prises dans les cimetières.

Il sculpte d’après modèle des têtes en bois, qu’il recouvre de couleurs, de feuilles d’or ou d’argent. Il peint d’après nature des nus sur leur chaises, des bouquet mortuaires de fleurs artificielles sur leur dalles, des oiseaux morts sur fond de géométries ornementales, des arbres sur ciel lilas. Là-dedans, rien n’est en harmonie – ce qui fait tout l’intérêt de ces tableaux délibérément désaccordés et aigres. Si le chêne des têtes était à nu – surfaces martyrisées de coups, cisaillées, crevées, on y reconnaîtrait de l’expressionnisme, un de plus, et il n’y aurait pas lieu de s’y intéresser longtemps. Au lieu de quoi, le beau bois est poli, teinté, métallisé. Il n’a plus rien de naturel, plus rien de matériel. Restent le crâne et sa face, sans une ombre pour les protéger du regard. Strip-tease des visages et des caractères. Cette nudité gênante fait songer à la violence des bustes de marbre romains les plus crus, d’un réalisme appuyé.
Même embarras devant les toiles. Tout irais mieux si les nus féminins et masculins n’exposaient pas leurs chair et leur organes violacés en avant d’une mosaïque multicolore de triangles ; de carrés, de rosaces – tissus tendus, papiers peints, on ne sait pas. Pour aggraver la provocation, Ic ajoute un large cadre peint tout entier carmin ou rose et écrit en capitales noires le nom et le prénom du modèle. Pas d’anonymat possible, pas d’illusion qui tienne, pas d’espoir de fuite : vous y ëtes, vous y restez. Ici, dans l’ici-bas du présent et l’ici-bas de la peinture. Et le p
Père Lachaise en guise d’au-delà : fleurs et couronnes, granits et gravier, souvenirs et pourritures.

Dans une époque qui a fini de la banaliser au nom de l’hygiène, de l’amour de la Nature et de la liberté des mœurs, Ic rend à la nudité sa charge de surprise et de malaise. Dans une époque qui s’applique à la déguiser et l’oublier, il fait de la mort l’un de ses motifs. C’est s’exposer à des inconvénients sérieux, d’autant que le même individu a déjà commis une faute contre l’ordre économique et social actuel : renoncer à une carrière d’informaticien tranquille et prospère pour travailler tous les jours dans un petit atelier encombré. Des débuts si scandaleux laissent craindre le pire : un homme décidé à défendre sa liberté et son nom, un goût prononcé pour la description et l’ironie, le mépris des convenances et des autorités. Un artiste vivant, autrement dit.