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HYPNOTIQUE DANSE

Par Claude Lorent
Supplément Arts Libre, Nº 149 semaine du 8 au 14 juin 2012. La Libre Belgique.

Pour sa première expo solo en Belgique, Hervé Ic, Français vivant à Bruxelles, hypnotise le regard dans une peinture très appliquée qui use à bon escient des plus subtils effets optiques.

Le premier contact avec l’œuvre de Hervé Ic est surprenant. Pour ne pas dire déroutant. Il y a d’une part la manière un peu précieuse de camper les personnages comme dans des images réalistes et figées. Il y a d’autre part les diverses orientations du travail, les peintures figuratives et les autres, rigoureusement abstraites. L’approche de l’ensemble exige donc un temps d’observation, un temps d’arrêt avant de dépasser une première impression hésitante. Un temps d’analyse par laquelle l’œuvre trouvera son unité.

L’œuvre se caractérise d’emblée par une remarquable maîtrise technique. Le métier de peintre reprend ici tout son sens et ce constat ne fait que confirmer un net retour actuel à cette notion qui fut abandonnée, voire rejetée, par le tout permis prédominant et l’élimination de la beauté jugée ringarde et désuète. Dans la technique la plus traditionnelle et la plus difficile, celle de la peinture à l’huile, l’artiste use de tous les artifices avec brio et de la plus grande finesse pour évoquer aussi bien les corps des danseurs que le rayonnement purement lumineux et chromatiques. Si cet aspect mérite que l’on s’y arrête pour l’apprécier à juste titre, on sait aussi qu’à lui seul il n’a jamais été ni suffisant ni nécessaire pour faire exister une bonne peinture hors du commun. Voire qu’il peut s’avérer dangereux car conduisant directement au chromo ! L’usage en est donc particulièrement délicat et risqué.
Dépasser le bien faire tout en l’utilisant est donc un sacré défi que relève l’artiste français, en étant réaliste d’apparence quand il faut, mais sans tomber dans le réalisme d’application, en misant sur la représentation mais loin de toute théâtralisation. Il campe les personnages en action, en mouvement, dans danseurs en l’occurrence, de façon à traduire aussi bien les expressions des visages – on est dans une forme de portrait – que les gestes et les attitudes des corps, que les déplacements. Pour atteindre à al notion de durée de ces prestations, et c’est cela qui est particulier à sa peinture à sa peinture, il recourt aux transparences, aux imbrications, aux superpositions, comme si les acteurs exécutaient le ballet devant nos yeux. C’est à ce moment que sa technique devient indispensable, à tel point que c’est elle qui dirige le spectacle ; sans elle il ne serait que caricature.
Les oeuvres abstraites livrent un autre aspect essentiel : le rôle de la couleur et donc celui de la lumière. Hervé Ic sait que la couleur est lumière et donc qu’elle est quasiment immatérielle, caractère qu’il rend parfaitement dans ses compositions où la matière vibre très légèrement et n’a d’existence que sur le mode du brouillard à peine perceptible. Par ce phénomène, le regard est attiré vers la peinture, il est littéralement aspiré et comme hypnotisé, retenu sur le sujet. Si l’effet est bien perceptible dans ces peintures, il l’est moins dans les autres où il agit malgré tout avec la même efficacité et ce d’autant plus qu’il brouille les pistes de la spatialisation par le mélange des sujets. Toutes les composantes flottent dans un univers qui n’a plus rien de réel, qui est comme rêvé ou fantasmé, qui est hors du temps. Un espace qui est tout simplement celui de peinture dont chacun sait qu’il est illusionniste. L’artiste ne donne pas à voir des images, il fait vivre une peinture imagée parfois même lorsqu’il paraît non figuratif, car sa série de petites toiles monochromes autour d’un abîme de lumière n’est autre qu’une suite de flashes !

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Libre Art
Claude Lorent
Supplément Libre Belgique 8 mai 2012